L’hydrogène est sur toutes les lèvres, et apparait aujourd’hui comme la solution miracle pour lutter contre le changement climatique. Certains vont même à le qualifier de « nouveau pétrole ». La promesse est intéressante : l’hydrogène permettrait ainsi de décarboner une partie de notre industrie et de notre mobilité.

Les gouvernements se sont emparés avec enthousiasme du sujet, amorçant ainsi la structuration d’une nouvelle filière industrielle : la France a annoncé un investissement de 7 milliards d’euros sur les dix prochaines années dans la filière, le Portugal 6,5 milliards, l’Allemagne près de 9 milliards. En Asie, le Japon a dévoilé son cinquième plan stratégique Hydrogène en 2018, et se positionne comme leader mondial dans la mobilité H2, aux côtés de la Corée du Sud.

Alors, l’hydrogène a-t-il vraiment réponse à tout ? Avant de nous projeter vers un avenir « hydrogène », il faut s’intéresser à la place que l’hydrogène prend déjà dans notre société, ses modes de production et ses enjeux, ainsi que sa pertinence pour de nouvelles applications.

De quel hydrogène parle-t-on ?

L’hydrogène (terme utilisé par abus de langage pour désigner le dihydrogène H2) est l’élément le plus léger et le plus abondant sur Terre. L’hydrogène n’est pas extrait – comme le pétrole, le gaz ou les minerais – mais produit. Également présent à l’état pur mais très diffus, cet hydrogène n’est pas exploité à l’heure actuelle.

Aujourd’hui, la production d’hydrogène est assurée en quasi-totalité (96%) par le traitement d’hydrocarbures : le vaporeformage du gaz naturel pour 69% et la gazéification du charbon pour 27%. Des 69 millions de tonnes d’hydrogène produits en 2019, 2% seulement proviennent de l’électrolyse de l’eau et 2% du traitement du pétrole. Lors de la production d’hydrogène, du CO2 est émis. 10kg de CO2 sont émis par kg d’hydrogène produit à partir de gaz naturel, 19 kg de CO2 par kg d’hydrogène produit à partir de charbon. Au total, la production d’hydrogène a engendré 830 millions de tonnes de CO2 en 2019. Cela représente 2% des émissions mondiales de CO2, soit l’intégralité des émissions de CO2 de l’Allemagne ou 2,5 fois celles de la France.

L’hydrogène pur a deux usages principaux aujourd’hui : le raffinage, ou plus précisément la désulfuration du pétrole (55%), et la production d’ammoniac pour les engrais (45%). Ces usages sont en croissance de 4% par an, avec un doublement de la demande entre 1990 et 2018. Mélangé à d’autres gaz, l’hydrogène « mélangé » peut aussi être utilisé dans l’industrie lourde, la production de méthanol, d’acier ou de fer par exemple. Les principaux consommateurs d’hydrogène sont donc les pays avec de grandes capacités de raffinage (en Europe : la Norvège, les Pays-Bas, Allemagne…) ou de production chimique (Allemagne…).

Sept nuances d’hydrogène

Pour différencier la manière dont l’hydrogène a été produit, on lui donne une couleur. 96% de l’hydrogène produit en 2019 est donc gris ou marron, selon la classification qui suit.

  • L’hydrogène gris est produit à base de vaporeformage de gaz naturel
  • L’hydrogène marron ou noir est respectivement produit à base de charbon lignite ou anthracite
  • L’hydrogène bleu est produit à base de gaz naturel ou de charbon, mais combiné à une technologie de carbon capture (technologie qui permet de séquestrer le CO2 émis dans le procédé chimique et donc de réduire de 90 à 95% les émissions liées)
  • L’hydrogène vert est produit par électrolyse de l’eau (séparation d’une molécule d’eau en hydrogène et oxygène par l’impulsion d’un courant électrique). Pour être vert, l’électricité doit intégrer de l’électricité issue de sources d’énergies renouvelables (solaire, éolien, biomasse, géothermie, hydroélectricité…)
  • L’hydrogène jaune est produit par électrolyse de l’eau avec une électricité d’origine nucléaire (en fort développement en Russie notamment). L’hydrogène jaune, de par l’empreinte carbone faible du nucléaire, est donc très peu carboné.
  • L’hydrogène blanc est celui présent à l’état naturel dans la croûte terrestre mais peu exploité pour des raisons techniques et économiques.
  • Par extension, l’hydrogène produit par électrolyse avec une électricité provenant du réseau électrique aura une couleur correspondant au mix électrique du pays. En France, un hydrogène produit à partir du réseau serait plutôt jaune, l’énergie nucléaire produisant plus de 70% de l’électricité du pays.

L’hydrogène gris n’est pas au cœur des plans d’investissement stratégiques, contrairement aux hydrogènes « bleu » et « vert ». La stratégie française porte sur un hydrogène « décarboné », la commission européenne propose un plan pour l’hydrogène « propre », ce qui sous-entend des investissements sur l’hydrogène vert mais également sur l’hydrogène bleu. L’hydrogène jaune aura également sa place, bien que peu évoqué dans les stratégies.

L’hydrogène bleu repose entièrement sur le Carbon Capture, une technologie prometteuse mais aujourd’hui peu développée. En 2020, seules 26 unités de capture du carbone sont en place dans le monde, et moins d’un tiers servent à produire de l’hydrogène bleu. Ce qui fait que moins d’1% de l’hydrogène produit aujourd’hui est bleu, et moins de 0,5% est vert. Dès 2015, Air Liquide s’est positionné sur l’hydrogène bleu avec la technologie de Carbon Capture CryoCap. Une fois capturé, le CO2 est soit stocké dans des réservoirs géologiques, soit utilisé dans l’industrie (agro-alimentaire, production de ciment renforcé…)

L’hydrogène deviendra une commodité dans les années à venir

Dans le plan stratégique de l’Union européenne, il est prévu que le continent se dote de capacités d’électrolyse de 40 GW d’ici 2030 mais aussi que le continent s’approvisionne depuis l’étranger en hydrogène décarboné. De nombreux accords bilatéraux sont en cours de signature parmi les pays membres, l’Allemagne ayant déjà signé des partenariats de recherche et d’approvisionnement avec l’Australie et le Maroc par exemple.

L’Australie veut, de son coté, devenir l’un des pionniers dans la production d’hydrogène vert, et a déjà signé des partenariats avec le Japon et la Corée du Sud pour leurs approvisionnements. Les deux pays se veulent les leaders mondiaux dès aujourd’hui : Séoul prévoit d’investir 1,1 milliard d’euros en 2021 pour développer la demande de mobilité H2 ; le Japon souhaite devenir une « société hydrogène », en faisant déjà des Jeux de Tokyo 2021 les premiers « Jeux Olympiques Hydrogène ». La Chine, premier producteur d’hydrogène au monde avec 22 millions de tonnes annuels, prévoit la décarbonation du secteur et la création de deux clusters Hydrogène autour de Pékin et Shanghai.

L’hydrogène vert pour décarbonner les usages et pour la mobilité de demain

Produire un hydrogène « bas carbone » aura comme première utilité de décarbonner les industries qui en sont aujourd’hui consommatrices. Avec l’hydrogène vert et l’hydrogène bleu, plus de 90% des émissions du secteur pourront être évitées. Pour atteindre les effets d’échelle nécessaires aux investissements dans des électrolyseurs « géants », de nouveaux débouchés sont à l’étude dans la filière de la mobilité, pour utiliser l’hydrogène comme carburant.

On retrouve la mobilité ferroviaire, où l’hydrogène se pose comme alternative au diesel sur les lignes non électrifiées, en Lorraine, en Allemagne ou en Italie par exemple. Fin novembre 2020, Alstom a reçu une commande de 8 trains Coradia iLint pour 160 millions d’euros de la part de la région de Milan, suivant la commande de 41 trains à hydrogène déjà passée en Allemagne.

Les transports collectifs et les transports lourds se positionnent également sur la motorisation hydrogène, comme alternative au thermique et au tout électrique. En 2020, 21 métropoles françaises se sont déjà engagées sur le déploiement de bus électriques à hydrogène, en partenariat avec des constructeurs français (Safra) ou étrangers (Van Hool, Businova, Solaris). Dans le transport routier, l’entreprise américaine Nikola est annoncée comme le prochain « Tesla » pour révolutionner les trajets longues distances.

Les véhicules individuels font également leur transition, bien que la filière européenne ne concentre ses investissements sur la mobilité électrique à ce stade. En Corée du Sud et au Japon, l’ensemble de la filière automobile se détourne progressivement des moteurs thermiques pour se concentrer sur la technologie hydrogène : Hyundai, Toyota et Honda ont tous trois annoncé des plans stratégiques pour investir dans les piles à combustible.

La conversion la plus marquante est enfin celle du secteur aérien, avec l’annonce par Airbus de 3 concepts d’avions à hydrogène. Cette innovation de rupture a plusieurs défis à relever : embarquer un volume d’hydrogène 4 fois supérieurs à celui du kérosène, intégrer des systèmes de réfrigération permettant de transporter l’hydrogène sous forme liquide, le tout en garantissant la sécurité des passagers. Ces prototypes, qui seront livrés à partir de 2035, permettront d’assurer des vols court ou moyen-courrier avec une autonomie de 1 000 à 2 000 miles nautiques, soit un Paris-Beyrouth ou un Washington-Los Angeles.

Une technologie « bas carbone » certes, mais non sans émissions de CO2

La production et l’usage de l’hydrogène bas carbone auront un impact fort sur la pollution locale : émissions réduites des centrales de production d’hydrogène bleu, émissions nulles lors de l’utilisation d’un véhicule à pile à combustible. Comme pour toute technologie « verte », l’hydrogène doit faire l’objet d’une analyse de cycle de vie afin de déterminer l’empreinte carbone globale de ses usages.

Pour la production d’hydrogène vert ou à partir d’électricité du réseau, l’analyse consiste à prendre en compte l’empreinte carbone du système électrique (production et transport) amont, de l’électrolyseur, du stockage, et de la distribution de l’hydrogène. Ainsi, la production d’hydrogène par électrolyse via le réseau électrique français émet 119 g de CO2eq /kWh, 3 fois moins que par vaporeformage de gaz naturel. Cela équivaut à environ 3 kg de CO2eq émis par kg d’hydrogène produit avec le mix électrique français.

Dans le cas du transport routier, le mix électrique joue un rôle primordial. En France, les véhicules individuels, utilitaires, autobus, et poids lourds propulsés à l’hydrogène par électrolyse ont tous un impact carbone inférieur à leurs contreparties thermiques (diesel, essence ou GNL), et légèrement supérieur à leur contrepartie 100% électrique. En Allemagne, l’électrolyse via le réseau électrique fortement carboné produit un hydrogène à son tour carboné. Tous les véhicules à hydrogène y ont ainsi un impact largement supérieur aux alternatives thermiques et électriques.

Au niveau des ressources, l’électrolyse requiert des quantités importantes d’eau. Bien que cette ressource soit abondante en Europe de l’Ouest et du Nord, l’aridité en Californie et en Australie est telle que des marchés de l’eau y ont émergé. Le développement de l’électrolyse à très grande échelle dans ces pays requiert alors un arbitrage avec d’autres secteurs pour l’utilisation de la ressource.

La production d’hydrogène vert est complémentaire au secteur des énergies renouvelables

Pallier l’intermittence des énergies renouvelables fait partie de la promesse de l’hydrogène vert, et ce dernier propose un moyen de stockage intéressant du surplus de production. Lors de pics de production solaire par exemple, la production non-consommée peut servir à produire de l’hydrogène vert. A plus grande échelle, l’hydrogène par électrolyse a besoin d’électricité d’origine renouvelable en permanence. Le secteur des énergies renouvelables se positionne donc sur l’électrolyse de l’eau pour proposer des solutions hydrogène.

Produit par électrolyse de l’eau et utilisant de l’électricité peu carbonée, l’hydrogène bas-carbone a un rôle-clé à jouer dans la transition énergétique. Vecteur énergétique aux qualités multiples, l’hydrogène bas-carbone permettra dans un premier temps de réduire les émissions des secteurs pétrochimiques et chimiques. Intéressant comme carburant, il permettra également de décarboner une partie de nos besoins de mobilité. On peut alors espérer l’évitement de l’émission de plusieurs milliards de tonnes de CO2, plusieurs pourcents des émissions mondiales annuelles.

Sources :

International Energy Agency (IEA), World Resources Institute (WRI), Global CCS Institute, Climate Watch Data, Air Liquide, Mikaa Mered “Géopolitique de l’Hydrogène” (2020), Supaéro Décarbo, International Council on Clean Transportation (ICCT), Carbone 4, ADEME, Fraunhofer ISE, press research

AUTEUR :
Charles Bondu, chargé d’affaires développement chez SunMind